Peux-tu me raconter ton parcours au sein du groupe d’Ivry, de tes débuts jusqu’à maintenant ?
Marie : Je suis arrivée à Ivry un peu par hasard. Ce n’était pas mon ambition initiale, mais avant, j’étais dans un autre groupe. À cause de mes erreurs, je me suis faite virer de ce groupe.
J’avais trois options : arrêter les EEDF complètement, revenir dans mon groupe initial en tant qu’aînée, ce qui aurait été une régression personnelle, ou bien rejoindre un autre groupe éclés en Île-de-France. A Ivry, j’avais beaucoup de connaissances, notamment parce que j’étais en couple avec un respons d’Ivry, dont la mère me connaissait bien et savait que, malgré tout cela, je n’étais pas une mauvaise personne. J’avais une très mauvaise réputation dans la plupart des groupes, à cause des rumeurs. Mais je savais que je devais continuer les éclés, c’était une certitude. J’avais trop souffert sans les éclés, surtout à 16 ans.
Donc, je suis allée à Ivry et j’ai pris une claque. Ivry et mon ancien groupe, ce n’était pas du tout le même fonctionnement. Ivry était beaucoup plus carré, plus organisé, du moins, c’était mon ressenti il y a 8 ans. Il m’a fallu beaucoup de temps pour m’intégrer. J’étais nouvelle à Ivry mais pas chez les éclés, donc mon passé me suivait. C’était dur de trouver ma place, mais j’étais bien accompagnée par Romain, qui était responsable louveteau avec moi, et Victorine, qui m’a aussi beaucoup aidée.
Je ne savais pas trop ce que je faisais là. J’étais animatrice mais je ne me sentais pas animatrice, plutôt encore jeune. J’avais l’impression de devoir constamment me battre pour prouver ma valeur, ce qui était épuisant. Mais j’ai tenu bon et, quand j’ai commencé à m’affirmer, à dire les choses clairement, j’ai pris plus de responsabilités et suis montée en grade rapidement. J’ai fait toutes les branches : lutine, louvette, éclée, aînée. J’ai occupé tous les postes : responsable d’unité louvette, responsable éclée, coordinatrice aînée. La branche où j’ai passé le plus de temps, c’était les aîné.e.s. J’ai commencé à occuper des postes de directrice depuis 2021. »
Pourquoi as-tu décidé de devenir respons’ ?
Marie : « C’est une question qu’on m’a posée lors de mon bilan BAFD, je vais donc te donner la même réponse. J’ai été jeune éclaireuse et aînée, et cela m’a beaucoup apporté. Le monde des éclés, c’était une énergie particulière, avec une transmission et un partage omniprésents que j’appréciais énormément. Apprendre par l’action, c’était quelque chose qui me parlait.
Dans mon ancien groupe, j’ai rencontré des animateurs et responsables que j’ai beaucoup admirés, pour leur dévouement, leur sympathie. Je voulais devenir comme eux plus tard. Mais je me suis vite rendu compte que le rôle d’animateur est complexe et demande beaucoup de temps, d’apprentissage, et de réflexion sur le type d’animateur qu’on veut être. Je voulais vraiment partager avec les jeunes ce que j’avais vécu, même si le monde change et les préoccupations ne sont plus les mêmes.
Ce sont surtout les rencontres que j’ai faites qui m’ont poussée à rester. Le concept de bénévolat a mis du temps à s’installer en moi. Quand j’étais jeune, je payais pour participer. En tant qu’animatrice, la charge de travail semblait légère, juste un week-end par mois. Je ne réalisais pas le temps que je donnais aux éclés. Mais plus les années passaient, plus mes responsabilités grandissaient. Plus je me rendais compte que ça prenait du temps. Et je faisais vraiment ça bénévolement. Il y a un moment dans ta vie où on te dit : ‘Marie, il est temps de gagner ta vie.’ Et tu te dis : ‘Ouais, mais j’ai les éclés.’ C’est là où tu réalises que c’est vraiment une passion. Voilà pourquoi je suis devenue animatrice, par passion et par volonté de faire vivre l’animation.
Et puis, je suis restée pour les rencontres que j’ai faites au cours de tout ça. Pas uniquement à Ivry, mais aussi ailleurs. Les éclés, c’est un enrichissement personnel, au niveau des rencontres, du réseau que tu te fais. C’est une ouverture sur le monde qui n’a pas de prix. Même si au début, on a l’impression de faire juste partie d’un petit groupe local, on se rend compte de l’ampleur de l’association. C’est une certaine fierté d’avoir fait partie des éclés, même si j’en fais encore un peu partie quelque part. »
Peux-tu me raconter le meilleur moment que tu as vécu en tant que respons’ ?
Marie : « Oh, j’en ai beaucoup ! Mais un des meilleurs moments, c’était un de mes premiers bivouacs, sur le camp à Ploemeur en 2017. C’était quelque chose de nouveau pour moi, et il y avait une cohésion d’équipe incroyable. C’est aussi l’année où j’ai rencontré Ludivine. Nous avions les lutin.es et les louveteaux et louvettes avec nous, et nous avons décidé de les laisser dormir à la belle étoile après avoir regardé la météo.
C’était un de mes meilleurs souvenirs. Après une petite escapade, nous avons fait un petit cinquième avec les responsables, c’était super drôle. Ludivine et moi avons dormi dans le même duvet pour alléger notre charge pendant la randonnée. En pleine nuit, Romain nous a réveillées en criant ‘plan B !’ à cause d’une averse. Nous avons dû faire rentrer tous les enfants rapidement dans la salle, en les faisant passer par la fenêtre. C’était l’essence même de l’adaptation en animation. C’était super drôle et intense, et même si les enfants ne m’ont pas donné beaucoup de retours, j’ai senti que nous avions bien géré la situation. »
D’un point de vue plus large, que penses-tu que les éclés apportent au monde, à la société, aux enfants ?
Marie : « Avant de partir au Sénégal, pour moi, les EEDF étaient une association, un mouvement qui permet de se fixer des objectifs personnels ou environnementaux. À petite échelle, cela peut sembler peu, mais à grande échelle, cela prend une ampleur énorme. Je pense que nous avons besoin de ce genre de mouvement, qui permet à n’importe qui, à n’importe quel âge, de se sentir utile vis-à-vis d’un groupe, d’une communauté, du monde. C’est cette volonté de se sentir utile qui est essentielle.
Depuis que je suis partie au Sénégal, j’ai une vision complémentaire des éclaireurs. Cela apporte une certaine rigueur, une discipline – pas militaire ou professionnelle – mais la discipline de vivre avec les autres, basée sur le respect et la confiance. Les éclés enseignent cela, peu importe le pays. C’est une école de la vie à petite échelle, un épanouissement continu. Même s’il y a des épreuves difficiles, des moments où tu veux tout arrêter, c’est une école de la vie. «
Pour toi, quels sont les grands défis que doivent relever les éclés dans les années à venir ?
Marie : « Moi, je pense que les grands défis des éclaireurs et éclaireuses, c’est la reconnaissance. Il n’y a pas encore assez de reconnaissance. Par exemple, au Sénégal, les éclaireurs sont extrêmement connus. Quand tu passes en Gambie et que tu as un foulard, tu n’a même pas à régler la douane parce qu’ils te respectent tellement. C’est un mouvement tellement ancré que sans eux, le pays n’existerait pas de la même manière. Il y a une reconnaissance énorme là-bas.
En France, on n’a pas encore cette reconnaissance. On existe depuis longtemps, mais on a pris du temps à se faire connaître et à s’adapter au monde. Ça commence à venir, de plus en plus de gens connaissent les éclés, mais il y a encore du chemin à faire. Par exemple, tout le monde connaît les Scouts et Guides de France, mais les Éclaireuses et Éclaireurs de France sont moins connu.es.
Je pense que les éclés doivent chercher cette reconnaissance, car plus ils en auront, plus ils auront du poids. Les éclés ont déjà du poids, mais ils méritent d’être encore plus entendus et valorisés. »
Et pour Ivry, quels sont tes espoirs pour le groupe ?
Marie : « Mon premier espoir, c’est que le groupe d’Ivry existe toujours. Soyons honnêtes, des groupes peuvent rapidement fermer. J’espère qu’il n’y aura pas une autre vague de maladie qui nous empêche de sortir, car cela a vraiment affecté le groupe. Mais surtout, j’espère que le groupe d’Ivry restera ouvert, au sens large, ouvert aux nouvelles personnalités, aux nouveaux membres. C’est important de progresser, d’évoluer.
C’est bien d’avoir des anciens, des ‘marabouts’ comme Olivier, qui sont là depuis longtemps et qui ont beaucoup de connaissances, mais ils ne peuvent pas faire tourner le groupe seuls. La force d’Ivry, c’est son ouverture. Entre le moment où je suis arrivée et le groupe d’aujourd’hui, il y a eu une vraie évolution positive.
Il faut que cela continue et que les parents s’engagent davantage. Les parents sont un pilier fondamental du groupe. Il faut les amener à participer plus activement, pas seulement en amenant leurs enfants et en payant les cotisations. Les parents doivent sentir qu’ils font partie du groupe.
De plus, il faut agrandir notre réseau de partenaires. Les partenaires sont importants, qu’ils soient d’autres groupes ou des soutiens externes. Il faut créer et entretenir ce réseau. »
Est-ce que tu veux ajouter un dernier mot ?
Marie : « Je dirais que, personnellement, quand j’étais dans mon ancien groupe, j’ai vécu mon enfance, j’ai grandi, j’ai fait des conneries, et je me suis fait virer. À Ivry, j’ai appris à devenir adulte tout en gardant ce grain de folie. Aux éclés, on a ce grain de folie, et il faut le préserver. C’est important. »